Le combat civilisationnel mené par les femmes en Tunisie s’est distingué depuis les années 20 et 30 du siècle dernier. Le mouvement féministe s’est bien associé aux combats des hommes pour la lutte contre le protectorat français et l’indépendance du pays…
Parmi les premières dames militantes qui ont hissé haut le drapeau tunisien par leur combat intensif durant cette période, on peut citer plusieurs noms… Parmi eux, le nom de Bchira Ben Mrad émerge du lot, tant son combat pour la cause tunisienne était juste et doublé d’un sens patriotique qui dénote à la fois l’amour du pays et la défense de la cause féminine.
Bchira Ben Mrad, cette dame courageuse, déterminée, nationaliste et militante, demeure l’une des figures les plus en vue des premières décennies du protectorat français en Tunisie.
Milieu intellectuel
Née en 1913, Bchira est issue d’une famille tunisoise et d’un milieu intellectuel. Elle est la fille du Cheikh El Islam Mohamed Salah Ben Mrad et la petite-fille du Mufti de Tunis, Hmida Ben Mrad. Sa mère Sallouha est la fille d’un autre cheikh El Islam Mahmoud Belkhodja.
Depuis son jeune âge, Bchira était passionnée de lecture et avide de connaissance. Si vite orpheline de mère, elle est totalement prise en charge par son paternel Med Salah Ben Mrad qui lui donne ainsi qu’à ses sœurs une éducation traditionnelle, des cours particuliers à domicile lui ont été dispensés par de valeureux professeurs zeytouniens à l’instar de Mohamed Manachou, Fraj Abbes, Mohamed Boudhina et autres…sans compter l’apport appréciable de son grand-père, le cheikh Hmida Ben Mrad. Durant de longues années, Bchira apprenait avec ses sœurs et cousines El Fikh ElIslami, la langue arabe, la grammaire, le calcul, elle excellait en tout.
A l’âge de dix-sept printemps, Bchira devenait l’heureuse épouse de Ahmed Zahar.
Militantisme
Parler du premier mouvement féminin en Tunisie revient inéluctablement à la reconnaissance de Bchira Ben Mrad en tant que première dame à penser, durant les années 1930, à créer une organisation féminine. En effet, elle fonde en 1936 l’Union musulmane des femmes en Tunisie (Umft), organisme qu’elle a présidé de 1936 à 1956 et c’est en 1936 que cette militante organise la première réunion féministe pour soutenir la cause du mouvement national.
Durant les événements d’avril 1938, Bchira Ben Mrad a brillé de mille feux par son militantisme débordant et ses intenses activités politiques, syndicales et associatives. Elle a contribué grandement à la prise de conscience de la société en général et des femmes en particulier. Les conservateurs de la Zeytouna ainsi que les combattants du parti destourien, présidé par Abdelaziz Thaâlbi, ont vite soutenu et encouragé, au nom de la sauvegarde de la culture islamique, la fondation du groupement féminin destiné à contrer l’influence occidentale sur la femme tunisienne.
Ce groupement féminin a participé dignement à la libération du pays de la domination française sachant que l’Umft attire aussi bien les traditionalistes que les nationalistes, partisans d’une certaine évolution du statut de la Femme.
Des dames à l’œuvre
En dépit de la répression des manifestations, les éléments féminins continuent à jouer un rôle essentiel dans la mobilisation populaire.
Ces femmes libres poursuivaient la lutte dans la clandestinité, à savoir en se réunissant dans les hammams, les zaouias ou les hôpitaux.
L’Umft défend essentiellement la cause féminine ainsi que son identification sociale.
En octobre 1951, plus de 400 femmes manifestent devant la direction de l’Instruction publique pour réclamer l’institution de l’arabe comme langue véhiculaire du pays et protester contre la politique privant de l’enseignement les filles scolarisables.
L’Umft, présidée par Bchira Ben Mrad, était composée de quelques dames actives et combattantes, citons :
– Hamida Zahar (sœur de Bchira)
– Moufida Ben Cheikh
Nebiha Ben Miled (sœur de Bchira)
– Hassiba Ghileb
– Souad Ben Mahmoud
– Naïma Ben Salah
– Jalila Mzali
– Mongia Ben Ezeddine
D’autres femmes se joignaient par la suite à l’Umft comme militantes, à l’instar de Moufida Bouguiba, Wassila Ben Ammar, Radhia Hadded et Fethia Mzali.
Bchira Ben Mrad demeure présidente de l’Umft jusqu’à sa dissolution en 1956.
Vivement le savoir
Dans son livre intitulé : «Bchira Ben Mrad leader du mouvement féminin en Tunisie», Mahmoud Chammam a mis l’accent sur les œuvres associatives et de bienfaisance de cet organisme et sa participation active au mouvement patriotique ainsi que sa lutte pour l’autonomie du pays.
Il évoque, entre autres, le soutien accompli par l’Umft à l’association des étudiants nord-africains à Paris. Car Bchira Ben Mrad, en tant que dame intellectuelle, encourage sans cesse la lutte pour le savoir. L’Umft établit un lien permanent avec cette association de militants étudiants nord-africains qui unit tous les étudiants dans la même cellule, celle du savoir.
Signalons que, dans ce même ordre d’idée, Bchira était toute heureuse de glorifier Taouhida Ben Cheikh, la première doctoresse arabe musulmane et tunisienne, 1ère dame médecin depuis 1937.
Dans son allocution, suite à la commémoration de cet évènement, Bchira Ben Mrad disait : «La doctoresse Taouhida Ben Cheikh vient de donner la preuve tangible que la femme tunisienne est en mesure de hisser tout haut le flambeau du savoir» et de continuer: «C’est par le savoir et la bonne volonté que l’homme arrive à vaincre les obstacles sur terre».
Hommage
La célébration du centenaire de Bchira Mrad a été effectuée au Théâtre municipal de Tunis le 1er décembre 2013.
De même un ouvrage lui a été consacré à titre posthume et, afin d’honorer sa mémoire, plusieurs rues dans divers gouvernorats du pays portent son nom.
Cette militante, patriotique, symbole de l’émancipation de la femme, décède dans la dignité entourée des siens le 4 mai 1993. Paix à son âme.
Tarek ZARROUK
Sources :
* Bchira Ben Mrad, œuvre de Mahmoud Chammam
* Femmes tunisiennes au temps de la colonisation de Noura Borsali